
Projet de loi 21 : opposition entre la suprématie de Dieu et la laïcité de l’État
Mise à jour le 17 mars 2025
La suprématie de Dieu dans la Charte canadienne des droits et libertés
La Charte canadienne des droits et libertés est enchâssée dans la Constitution canadienne qui est la loi suprême au Canada[1]. Elle prévaut sur toute autre loi canadienne et énonce les droits et libertés fondamentaux qui sont protégés, à savoir, les droits civils et politiques, les droits économiques, culturels et sociaux et les droits de solidarité. De plus, son préambule énonce que « (…) le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ».
La suprématie de Dieu fait appel à un principe religieux qui constitue un élément central dans la construction des valeurs canadiennes. La suprématie de Dieu est souvent interprétée comme un principe symbolique. Certains estiment que la suprématie de Dieu doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens[2].
Le maintien du patrimoine multiculturel et la reconnaissance de la suprématie de Dieu soulèvent des questions importantes sur la place de la religion dans l’espace public et son impact sur les droits et libertés des citoyens.
L’opposition entre la suprématie de Dieu dans le préambule de la Charte canadienne et la Loi sur la laïcité du Québec illustre une divergence profonde dans les interprétations des relations entre religion et politique au Canada.
La laïcité dans la Charte des droits et libertés de la personne
En juin 1976, soit avant le rapatriement de la Constitution canadienne, le Québec a adopté à l’unanimité la Charte des droits et libertés de la personne[3]. Cette charte qui a un statut quasi-constitutionnel souligne « l’importance fondamentale que la nation québécoise accorde à la laïcité de l’État ».
La laïcité est le principe selon lequel l’État doit être séparé des institutions religieuses. Les politiques et la législation ne doivent pas être influencées par des doctrines religieuses. En d’autres mots, la laïcité vise à garantir la neutralité de l’État vis-à-vis des religions et à protéger les droits des citoyens, peu importe leurs croyances – ou absence de croyances - religieuses.
C’est dans cette lignée que le Québec a adopté la Loi sur la laïcité de l'État, communément appelé « Loi 21 »[4]. Cette loi s’inscrit dans l’engagement du Québec à assurer une séparation nette entre l'État et les religions, en interdisant, entre autres, aux fonctionnaires occupant des postes de pouvoir (juges, policiers, enseignants) de porter des symboles religieux dans l'exercice de leurs fonctions publiques. Ainsi, la Loi 21 impose des limites strictes à l'expression religieuse dans les lieux publics, afin de maintenir une séparation entre les affaires religieuses et la gestion de l'État.
Une opposition fondamentale : les droits fondamentaux, la religion et l’État
D'une part, la Charte canadienne affirme, notamment par le biais de son préambule, la suprématie de Dieu, les principes religieux et le multiculturalisme qui ont façonné la culture canadienne. D'autre part, le Québec considère que la laïcité est une valeur fondamentale pour la nation québécoise et cherche à limiter l'influence des symboles religieux dans les institutions publiques.
Le projet de Loi 21 et les principes de laïcité ont fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières années. Ce projet de loi soulève des questions sociales importantes, notamment quant à l’utilisation des clauses dérogatoires, qui permettent aux gouvernements de déroger à des droits et libertés fondamentaux garantis par la Charte canadienne.
En février 2024, la Cour d’appel du Québec a confirmé la validité de la Loi 21 dans un jugement de 300 pages. Selon la Cour d’appel, « la Loi affirme le caractère laïque de l’État du Québec (…) et reflète pour l’essentiel l’état actuel du droit qui, au Québec comme d’ailleurs dans le reste du pays, se fonde sur une séparation de l’État et des religions »[5].
Cela dit, le projet de Loi 21 n’a pas terminé d’alimenter les discussions, puisque la Cour suprême du Canada a récemment accueilli les demandes d’autorisation d’appel et la demande d’autorisation d’appel incident de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec du 29 février 2024[6].
Conclusion : Une question de valeurs, d’identité et d’égalité
L’opposition entre la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur la laïcité québécoise soulève des questions complexes sur la place de la religion dans la sphère publique. Tandis que le Canada adopte une approche symbolique de la religion à travers le préambule de sa Charte, le Québec, avec sa Loi 21, adopte une approche plus radicale en cherchant à séparer clairement la religion et l’État dans les institutions publiques. Cette tension reflète les débats en cours sur l’identité religieuse, la diversité et les droits individuels dans une société qui cherche à équilibrer ses racines culturelles avec les principes modernes de laïcité et d’inclusion. De plus, comme le souligne à juste titre l’Honorable Claire l’Heureux-Dubé, précédemment juge en Chef de la Cour suprême du Canada, ce débat fait inévitablement intervenir la question d’égalité, « une valeur sine qua non de la société québécoise et canadienne »[7].
[1] Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 1, art. 52.
[2] Ibid, art. 27
[3] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.
[4] Loi sur la laïcité de l'État, RLRQ c L-0.3.
[5] Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 254 para 83.
[6] Procureur général du Québec, et al., 2025 CanLII 2818 (CSC)
[7] L’Honorable Claire L’Heureux-Dubé, cité dans Hélène Buzzetti. 2007. « Les affaires du kirpan et de la souccah juive – La Cour suprême s’est trompée ». Le Devoir.com, vendredi 9 novembre 2007.
Note : cet article ne constitue pas un avis juridique et ne doit en aucun cas être interprété comme tel.
Comments